Du niveau pour l'Hôtel Dupire-Rozan
Au n° 95 de la rue de l'Epeule à Roubaix se situe l'entrée de la cour Lepers, un étonnant endroit de calme et de verdure.
Clichés de Jacques Desbarbieux © Association Roubaix.labelle - Le samedi 22 juillet 2023
À Roubaix, les courées étaient un type de logement qui a marqué la vie sociale des ouvriers et l’histoire de la ville. Ces petites maisons de briques, bâties au bout d’un long couloir sombre, étaient cachées aux yeux des passants dans la rue. Il y en avait des centaines et elles étaient habitées essentiellement par la population ouvrière au temps du textile triomphant.
L'écrivain roubaisien Maxence Van der Meersch les a magnifiées dans son roman " Quand les sirènes se taisent ". Mais des peintres de Roubaix les ont mises en scène ainsi Arthur Van Hecke (1924-2003) , l'une des figures du Groupe de Roubaix, avec cette " Courée " si colorée, si vivante avec le linge qui pend entre les deux rangées de maisons. Ce tableau qui date de 1950 vient d'être offert au musée de Roubaix par les Amis de La Piscine.
Il reste encore des courées à Roubaix et voilà que sévit une polémique : la ville projette de démolir cinq courées dans le populaire quartier de l'Épeule. Les défenseurs du patrimoine mais aussi les habitants protestent vigoureusement.
Au musée on les préserve...
Un article paru dans La Voix du Nord, édition de Roubaix, par Charles Olivier Bourgeot, le mercredi 12 juillet 2023.
La courée Lepers, en bon état, donne sur le site Roussel. Les opposants regrettent que la municipalité veuille la démolir pour faire un passage. La ville donne aujourd’hui une autre version du projet. Photo Thierry Thorel.
La ville de Roubaix veut démolir les courées historiques de l’Épeule dans le cadre du programme de renouvellement urbain. Alors que le projet est très contesté, la mairie assure aujourd’hui que ce choix n’est pas lié au site Roussel.
Les opposants à la démolition de courées historiques de Roubaix regrettent ce choix de la municipalité. La perspective de raser les courées de l’Épeule avait été rapidement évoquée lors des réunions publiques de concertation, mais le projet est plus précis depuis la présentation récente du périmètre d’intervention.
La démolition des courées répond, avant tout, à une question d’habitat ancien dégradé.
Pourquoi les démolir ? Comme d’autres défenseurs du patrimoine, l’ancienne élue de la majorité, Véronique Lenglet, assure que la volonté est de créer un passage vers le site Roussel pour lequel la ville nourrit de grandes ambitions. La municipalité expliquait d’ailleurs en février 2022 qu’une réflexion était menée pour une ouverture du site sur la rue de l’Épeule.
Interrogée il y a quelques jours sur ce projet, la ville livre une autre version et nous a répondu par écrit. « Si les deux opérations participent d’un même objectif : mieux vivre à l’Épeule et à Roubaix, il n’existe pas de lien direct entre le choix de démolir les courées de la rue de l’Épeule et un éventuel projet de développement du site Roussel », précise la mairie.
« La démolition des courées répond, avant tout, à une question d’habitat ancien dégradé », poursuit-elle. « Elle doit permettre de résoudre des situations individuelles de logement très préoccupantes, voire dangereuses, et de requalifier la rue de l’Épeule. » « Le site Roussel, de son côté, lieu totem du textile et de la mode et qui connaît depuis ces dernières années un bel essor, est un projet clé du NPNRU pour le quartier de l’Épeule », explique par ailleurs la ville.
Un passage tout de même ?
Voilà donc la raison officielle. Elle n’est visiblement pas très claire au sein même de la majorité municipale. Récemment interrogé à ce propos, un élu, qui suit de près le dossier, nous expliquait en effet que la démolition des courées Lepers, Blasin et Heuls était bien liée à leur proximité du site Roussel (le mur du fond des cours est voisin du parking). « L’idée, c’est de faire un passage entre la rue de l’Épeule et le site Roussel au niveau du parking. Il y aurait une passerelle et une grande allée piétonne depuis la rue. » Il ne serait en revanche pas question d’y faire passer des camions.
Une première maison murée dans la cour Lepers vouée à la démolition
Une première maison murée dans la courée Lepers vouée à la démolition dans le cadre du programme de rénovation urbaine.
Le Nouveau programme de renouvellement urbain, qui concerne à Roubaix quatre quartiers, est contesté sur le volet logement, en particulier par les défenseurs du patrimoine. À l’Épeule, la disparition programmée de cinq courées de la rue de l’Épeule est pointée du doigt parce que ce type d’habitat fait partie de l’histoire de la ville. Ce choix a été en partie découvert en début d’année par un document montrant le périmètre d’intervention du programme aux commerçants concernés.
Les opposants à ce projet ont organisé récemment un Démolition Tour, comprendre une déambulation entre les différents sites du quartier voués à la démolition. Particulièrement incomprise, la volonté de démolir la cour Lepers, en très bon état et rénovée il y a une quinzaine d’années. Plusieurs habitants, propriétaires, se mobilisent contre cette décision. Comme un symbole, une première maison vient d’y être murée, comme d’autres l’avaient été dans d’autres courées.
Dans ce genre de projet, la phase d’acquisition est longue et les maisons sont fermées les unes après les autres en attendant la démolition totale. Le quartier du Pile, en cours de requalification, en est une illustration. Les îlots sont détruits quand toutes les habitations sont murées, ce qui peut parfois prendre de nombreuses années.
Synthèse de la rencontre avec l'Atelier de Recherche et d’Action Urbaine (ARAU) aux Archives du Monde du Travail, le jeudi 27 avril 2023
Présence remarquée de Métropole Label.le ce jeudi soir au débat « Le patrimoine, une idée à réinventer ? Regard croisé Lille / Bruxelles » organisé aux Archives du Monde du Travail, par l’Association Urbanistes Haut de France (AUHdF).
Marion Alecian, directrice de l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaine (ARAU), y a présenté l’association bruxelloise forte de 54 années d’expérience : Comme une leçon pour Métropole Label.le.
Retenons quelques idées fortes :
- Ne pas devenir une association de défense du patrimoine mais de promotion
- Prendre en en compte le bilan carbone de toute démolition / reconstruction, vu comme essentiel à l’heure du changement climatique !
- Mobiliser les politiques
- Accepter quelques défaites…
S’il n’a pas été question de faire un parallèle au sujet des démolitions dans le quartier de l’Alma à Roubaix avec Bruxelles, Marion Alecian s’est dite « effarée » par ce dossier roubaisien, une façon de créer un lien possible entre Roubaix et Bruxelles.
Les échanges nourris après les présentations ont démontré la mobilisation forte de tous les participants « contre les projets honteux mené par la municipalité », dixit notre président Jean-François Boudailliez.
LETTRE OUVERTE AUX CITOYENS DE ROUBAIX ET DE LA MÉTROPOLE… EN L’ABSENCE DE POSSIBILITÉ DE DIALOGUE AVEC LA MUNICIPALITÉ
EPEULE : D'UNE RUE DENSE ET VIVANTE… A UN SQUELETTE DÉSERTIFIÉ ?
Sans grand passé monumental (seul le clocher de Saint Martin remonte au XVIème siècle), la ville de Roubaix offre un intérêt patrimonial quasi unique en France : une ville champignon du XIXème siècle née de et par l'industrie et aujourd'hui préservée pour l'essentiel. Son tissu urbain - fait de courées, de rangs de maisons ouvrières ou d'employés (les « choques »), d'hôtel bourgeois ou de maîtres - renferme encore nombre de monuments industriels, religieux ou civils, certains exceptionnels et la plupart remarquables.
L'Epeule, le quartier et sa rue éponyme, est bien représentatif de la ville : courées, maisons joliment décorées (rue des Ogiers), couvent des Clarisses lové dans ce tissu, commerces encore actifs, anciens locaux industriels remarquablement réutilisés : teinturerie Roussel - Desrousseaux, d'un côté de la rue, tissage Roussel à l'autre bout, à l'angle de la rue des Arts.
Ce tissu urbain, beaucoup l'ont connu bien plus dense. En cette fin XXème et début XXIème, nombre de démolitions sont intervenues, donnant ainsi naissance dans un premier temps à l'agrandissement du Colisée et à la construction de Thalassa, puis, plus récemment, au parc du Brondeloire, à la place Vandermeiren, au parking de l'actuel Triangle.
Aujourd'hui, on nous annonce une volonté de « requalifier » la rue de l'Epeule dans le cadre du « nouveau programme de rénovation urbaine » (NPRU). Dans cette optique, nombre d'actions envisagées apparaissent très contestables, et même franchement aberrantes ! Elles montrent en tous cas une totale incompréhension des spécificités de la ville de Roubaix, de son « génie propre » :
CINQ BELLES COURÉES SONT DESTINÉES A DISPARAÎTRE (Les cours Blasin, Heuls, Lepers, Govaere et Sénéchal)
Ces courées ne sont absolument pas insalubres. Elles ont bénéficié il y a quelques années d'importants travaux de restauration du bâti et la MEL a financé à grands frais les travaux d'assainissement et de réseaux.
Elles vivent bien, et leurs occupants n'ont aucune envie de les quitter !
Un récent article de la Voix du Nord (5/3.2023 Claire Lefebvre) attirait l'attention sur cette forme d'habitat, « stigmate identitaire des anciennes métropoles textiles nord » selon l'historien Philippe Guignet. Et la journaliste de conclure: « paradoxalement , la promiscuité fait désormais du charme; elles accueillent artistes et étudiants »
Ailleurs dans la ville, entre les rues Chanzy et Jean Moulin, la belle restauration des cours Dubar et Dekien (seules courées reprises ISMH dans la métropole) témoigne parfaitement de l'intérêt de ce type d'habitat. On ajoutera encore que l'indemnité d'expropriation prévue pour chacune des maisonnettes (on parle de 50 000 €) ne permettra pas aux occupants l'achat d'un nouveau logement
DETRUIRE CES COUREES EST UNE GRAVE ATTEINTE A L'IDENTITE DE LA VILLE ET NE REPOND A AUCUNE NECESSITE SANITAIRE URBANISTIQUE OU SOCIALE !
LA RUE DES OGIERS EST PROMISE A L'ANÉANTISSEMENT
Une artère modeste mais passante menant de la rue de l'Epeule au couvent des Clarisses, bordée d'un rang de maisons semblables aux façades intéressantes, (mêmes si des travaux de restauration sont nécessaires).
L'intérêt invoqué de leur démolition ? Dégager la vue sur le couvent des Clarisses, accompagner la formation d'une nouvelle place comprenant le magasin Triangle et son actuel parking.
Quelle aberration, alors que :
Le couvent des Clarisses est par essence un édifice humble, modestement - et c’est délibéré ! - intégré au sein d'un quartier ouvrier ; il n'a pas été conçu pour être dégagé !
Son « dégagement » offrirait surtout la vue sur un mur d'enceinte austère (fonds de jardins), qu'il ne saurait être question de démolir puisque lui aussi repris à l'inventaire des monuments historiques (la démolition de ce mur ne serait d'ailleurs qu'une aberration supplémentaire s’agissant d’un monastère de religieuses cloitrées!)
La priorité est à la restauration et à la réutilisation définitive de ce très remarquable bâtiment, l’un des joyaux de la ville, ce de quoi la municipalité semble totalement se désintéresser.
« DEGAGER » LE MONASTERE DES CLARISSES EST UNE ABSURDITE ET UN ANACHRONISME QUI DEMONTRENT L'INCOMPETENCE ET L'INCULTURE DES AUTEURS DU PROJET
DES DÉMOLITIONS ABSURDES SONT PRÉVUES DANS LA DIFFUS
Il en est ainsi des 110 et 112 rue de L'Epeule... les plus belles façades du secteur !
Le plus grand des deux immeubles est une ancienne brasserie, qui a semble-t-il gardé sa touraille en prolongement. A l'heure où les micro brasseries deviennent légion cela devrait pourtant donner des idées, même aux moins créatifs !
Dans un article de la Voix du Nord (7 mars 2023 Charles Olivier Bourgeot), Monsieur Delbeke, adjoint au maire en charge des quartiers ouest, précise que les façades pourraient éventuellement être conservées. Voilà le retour de cette maladie : le « façadisme » qui a fait tant de dégâts déjà dans notre métropole, mais c'était pour l’essentiel il y a plus de quarante ans ! Les décideurs de cette ville auraient-ils un demi-siècle de retard ?
Ces immeubles comptent parmi les plus intéressants de la ville, et notamment dans un quartier ouvrier. Leur démolition serait un crime (encore !) contre le patrimoine.
Et, d'ailleurs, dans quel but les démolir ? Nulle raison censée n’est avancée !
Droguerie Debril, et autres : des commerces uniques et en bonne santé ! Y en-t-il tant dans Roubaix ?
Leur suppression permettrait nous dit-on le dégagement de l’ancien tissage Roussel. Mais en quoi ce remarquable témoin du patrimoine industriel a-t-il besoin d'être « dégagé » ? Conçu dès l’origine au sein du tissu urbain, il a depuis toujours un accès – d’ailleurs bien plus pratique - par la rue des Arts !
TRANSFORMER LA RUE DE L'EPEULE EN « GRUYERE » C'EST NE RIEN COMPRENDRE A CE QU'EST UNE RUE COMMERCANTE !
EN CONCLUSION
La rue de l'Epeule et ses alentours ne requièrent aucune destruction faite en vue d'une «dédensification » du quartier. Les démolitions effectuées précédemment ont largement fait « respirer » le quartier. Celles envisagées aujourd'hui sont non seulement inutiles, mais lui feraient perdre son identité, entrainant un effet de « mitage » totalement délétère.
A ce propos, on permettra à Metropole Label.le de retranscrire un paragraphe d'un opuscule édité par la ville de Roubaix « Grands travaux 1980-2010 », un ouvrage toujours distribué par la service Ville d'Art et d'Histoire :
« Une qualité architecturale préservée. Le dispositif de la Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP) en vigueur depuis 2001 permet d'assurer la protection du patrimoine urbain et la mise en valeur des quartiers et des sites, depuis on ne démolit plus à Roubaix » ( sic...) ».
CHERCHEZ L'ERREUR !
Enfin, on doit s'interroger sur le coût de ces démolitions : ne s’agit-il pas là d’un gâchis énorme d'argent public ?
Rénovation à grand frais de courées pour les raser à peine quelques années plus tard !
Et coût des acquisitions immobilières sur des immeubles pour la plupart occupés et en bon état (en vue de démolition donc de destruction de valeur !)Si les propriétaires d'immeubles ne semblent pas devoir être indemnisés outre mesure, il n'en est pas de même pour les titulaires de baux commerciaux - véritable aubaine sans doute pour certains d’entre eux du moins !
Coût financier, certes.
Mais aussi, coût social et écologique de ces destructions.
Il n'entre pas dans l'objet de Métropole Label.le de considérer en détail le coût social. Mais, on ne peut s'empêcher de le considérer dramatique.
Mais en 2023, peut-on encore raisonnablement accepter le coût énergétique et environnemental d'un tel programme ?
QUEL PARADOXE DANS UNE VILLE QUI COMMUNIQUE TANT SUR LE ZÉRO DÉCHETS !
QUELLE COHÉRENCE ENTRE LES DIFFERENTES POLITIQUES PORTÉES PAR LA MUNICIPALITÉ ?
ON EST FORCÉ DE CONSTATER ICI QU’IL NE S’AGIT PAS SEULEMENT DU SACAGE DU PATRIMOINE MAIS AUSSI DE L’ABSENCE DE VISION URBAINE, DE L’INDIFFERENCE FACE À LA DIMENTION HUMAINE, DE LA CABEGIE D’ARGENT PUBLIC ET D’UN BILAN CARBONE DESASTREUX !
PITIÉ POUR LA VILLE !