La mairie droite dans ses bottes sur le mur et les drones de l’Alma.
Un article de Bruno Renoul dans la Voix du Nord du vendredi 24 novembre 2023 (édition de Roubaix).
Depuis mardi, des blocs de béton ont été installés dans le quartier de l’Alma, pour protéger les ouvriers des agressions.
La montée des tensions à l’Alma autour du plan de rénovation urbaine, avec le déploiement de drones et l’érection d’un mur pour protéger les ouvriers du chantier, s’est invitée au conseil municipal de Roubaix hier soir. Les oppositions réclament un retour urgent du dialogue. La ville estime qu’il a déjà eu lieu.
Tensions à l’Alma, tensions au conseil municipal de Roubaix. La révélation dans nos colonnes du déploiement de drones dans ce quartier populaire de Roubaix pour protéger les ouvriers en charge de la démolition de logements dans le cadre de la rénovation urbaine, avait déjà causé un certain émoi dans la population. L’édification d’un long mur de béton pour mettre fin aux violences et insultes qu’ils subissent a fait grandir le malaise. Et ce ressentiment s’est retrouvé dans les mots de l’opposition au conseil municipal de Roubaix, ce jeudi soir.
Il y a un principe qui dit que quand on veut la guerre, on finit par l’avoir, et que quand la guerre est déclarée, c’est difficile d’en sortir.
La longue liste des concertations
« Mur de la honte ! », s’est exclamé Karim Amrouni, le chef de file du groupe Roubaix en commun. « Un mur inspiré du mur de Berlin », a enchéri sa collègue Nadia Belgacem, qui dénonce les « vigiles armés qui intimident les habitants », et met en rapport ces blocs de béton avec une sorte de « mur » que la ville oppose à tous ceux, collectifs d’habitants, urbanistes, architectes ou défenseurs du patrimoine, qui « se plaignent depuis des mois de l’absence de réponse de la municipalité à leurs propositions ».
Christian Carlier (EELV) dénonce pour sa part la « panique qui semble saisir les autorités » avec ces « décisions disproportionnées perçues comme stigmatisantes » par la population. « Jusqu’où va-t-on aller dans l’escalade ? Il y a un principe qui dit que quand on veut la guerre, on finit par l’avoir, et que quand la guerre est déclarée, c’est difficile d’en sortir. Que comptez-vous faire pour sortir de cette spirale ? » questionne-t-il.
Le PS, lui aussi, réclame le retour à la table des négociations et estime que « le silence de la municipalité semble être une réponse aveugle qui risque de laisser se dégrader la situation ».
« Les voyous qui ne veulent pas du changement »
Le maire, Guillaume Delbar (divers droite), s’est contenté de regretter les « comparaisons historiques » de l’opposition, et a laissé son adjoint en charge de la concertation dans le cadre du Nouveau programme de renouvellement urbain, Pierre-François Lazzaro, répondre.
Il a affirmé son « soutien aux démarches de la préfecture et du bailleur LMH », autrement dit au déploiement des drones et de l’érection d’un mur en béton. Au passage, il a aussi dénoncé « les voyous qui ne veulent pas du changement et qui sont violents ».
Sur le fond, il rejette toute idée de nouvelle concertation, égrenant la longue liste des diagnostics en marchant, réunions publiques ou ateliers de travail organisés dans le quartier depuis 2017. « On essaie de faire croire que la visio a été le seul vecteur de la concertation, mais c’est faux », rétorque-t-il, précisant au passage que « sur les quatre quartiers concernés, 486 démolitions sont prévues, contre 800 démolitions pour le seul quartier des Trois-Ponts lors de l’ANRU 1 ».
Christian Carlier (EELV) a conclu avec ces mots terribles : « Vous voulez l’affrontement, vous l’aurez et vous en serez responsables. » Puisse-t-il avoir tort.
Dans le quartier de l’Alma, la rénovation urbaine va dans le mur
Un article de Bruno Renoul dans la Voix du Nord du samedi 25 novembre 2023 (édition régionale).
L’érection de cette palissade de béton symbolise le mur qui s’est construit progressivement entre la mairie et les habitants dans le quartier de l’Alma. Photo Thierry Thorel.
Les tensions montent autour du plan de rénovation urbaine. Pour protéger le chantier, menacé par des vandales, les autorités ont déployé des drones, puis érigé un mur de béton. Le dialogue semble rompu.
C’est une ambiance surréaliste qui règne dans le quartier de l’Alma à Roubaix. Au pied des premiers immeubles à démolir dans le cadre du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), le bailleur Lille métropole habitat (LMH) a fait installer cette semaine d’imposants blocs de béton de plus de deux mètres de haut. Collés les uns aux autres, ils forment un immense mur derrière lequel les ouvriers peuvent travailler à l’abri. « Travailler dans ces conditions, c’est du jamais-vu », a témoigné l’un d’eux, sur place.
La contestation du plan de rénovation urbaine n’a cessé de s’amplifier ces derniers mois.
Depuis le démarrage du chantier il y a trois semaines, les ouvriers ont essuyé des insultes, menaces ou jets de projectiles émanant de bandes d’adolescents qui s’en sont aussi pris aux véhicules des ouvriers ou au matériel de chantier. Des vigiles sont présents 24/24 h, mais eux-mêmes ont été pris à partie. À tel point que la préfecture, qui déploie désormais d’importants moyens policiers à l’Alma, jour et nuit, a également autorisé le commissariat de Roubaix à utiliser des drones pour filmer les environs du chantier. L’arrêté préfectoral a été renouvelé cette semaine.
L’arrivée de cette immense palissade de béton – une initiative soutenue par la mairie de Roubaix – est considérée à l’Alma comme un passage en force et une provocation. Des élus et des habitants parlent de « mur de la honte », d’autres vont jusqu’à le comparer au mur de Berlin, ou à la clôture de sécurité israélienne. Ce béton illustre en tout cas le mur qui s’est construit progressivement entre la ville et les habitants sur le sujet.
Des bâtiments emblématiques à démolir
Car dans ce quartier pauvre, miné par les trafics de stupéfiants et fortement touché par les émeutes de juillet consécutives à la mort de Nahel, la contestation du plan de rénovation urbaine n’a cessé de s’amplifier ces derniers mois. Collectif d’habitants, urbanistes, architectes, défenseurs du patrimoine, ils sont nombreux à critiquer l’ampleur du programme, qui prévoit la démolition de 486 logements.
Mais c’est surtout la destruction annoncée d’immeubles emblématiques de l’histoire du quartier, encore en bon état, qui ne passe pas.
Or, ce mécontentement n’a pas trouvé de réponse politique. La ville de Roubaix reste inflexible, en rappelant les nombreuses réunions de concertation – dont une partie en visio, pendant le Covid – organisées à l’Alma depuis 2017.
Encore jeudi soir, en conseil municipal, la majorité municipale de Guillaume Delbar (divers droite) a balayé les propositions de l’opposition qui réclamait un retour du dialogue avec les habitants. « Les démolitions sont un détour obligé pour construire un cadre de vie agréable pour les habitants », défend l’adjoint en charge du renouvellement urbain, Pierre-François Lazzaro. Un « cadre de vie agréable » édifié, donc, derrière une muraille de béton surveillée par des drones.
Face au mur de l’Alma, « le combat ne s’arrêtera pas »
Un article de Florence Moreau paru dans l'édition de Roubaix de la Voix du Nord du jeudi 30 novembre 2023.
« Les drones, les CRS, ce mur : tout ça rallie à notre cause des gens qui n’étaient pas avec nous à la base », estime Florian Vertriest. Photos Thierry Thorel
Il ne vit pas dans un des bâtiments voués à la démolition. Mais c’est sa voix qui porte le combat du collectif anti-démolitions, à l’Alma. Comment Florian Vertriest, enfant du quartier, a-t-il réussi à occuper le terrain ?
Il a grandi là où se dresse, depuis une semaine, un mur de béton de 2,50 m. Ce mur qui matérialise la réponse brutale de l’État aux habitants de l’Alma voulant sauver 489 logements d’une démolition programmée. À 30 ans, Florian Vertriest est devenu leur porte-parole « naturellement, au fur et à mesure », retrace-t-il. Au début réticent face aux médias, le médiateur sportif est aujourd’hui cité dans Le Monde, Libération, l’AFP, Politis. De quoi asseoir sa légitimité dans le combat qu’il mène « pour préserver notre patrimoine » et dont il connaît l’historique sur le bout des doigts.
« C’est le mépris qui m’a fait réagir. » Florian Vertriest
D’un naturel discret, le père de trois enfants s’est révélé via cette cause qu’il porte depuis un an et demi. « C’est le mépris qui m’a fait réagir, le fait de voir qu’on voulait changer nos vies et raser notre histoire sans même nous consulter. Ça ne pouvait pas passer. »
Nullement intimidé, il a mis « le pied dans la porte », résume-t-il, confrontant des élus, consultant des techniciens, s’entourant de compétences, se créant progressivement un réseau solide et une détermination à toute épreuve. « Au début, on parlait beaucoup avec émotion, admet-il. Mais quand vous faites venir progressivement plus de 300 professionnels européens (architectes, urbanistes, paysagistes…) et que tous vous donnent raison, ça donne une force incroyable. » Assez pour ne pas céder aux pressions et intimidations qu’il confie subir. Assez pour nourrir des ambitions politiques comme le flairent certains ? « Pas du tout ! , réfute-t-il. Je ne roule pour aucun parti. J’ai une conscience politique, mais je suis apolitique. »
Appel au dialogue
S’il ne nie pas les problématiques du quartier, Florian Vertriest refuse de croire que raser les bâtiments les régleront et prend à témoin les précédentes démolitions aux Trois-Ponts « qui n’ont rien résolu ». Il dénonce « un gâchis » et une opération « de gentrification » qu’il veut contrer « dans le dialogue » en s’appuyant sur des réhabilitations.
« On attend quoi de nous ? On reproche aux gens de quartier de ne pas s’intéresser à leur lieu de vie, de ne pas prendre la parole, de ne pas voter… Là, on prend les sujets en main, on est force de proposition, on monte un contre-projet. On ne peut pas faire plus pour créer le dialogue ! » La démarche tranche en effet avec les autres territoires objets de rénovation urbaine. Et sur place, le climat se tend avec l’usage de drones de surveillance et maintenant d’un mur traduisant « une escalade » qui lui fait craindre un drame.
Florian Vertiest n’est-il qu’un utopiste ? Le collectif peut-il vraiment retourner la table ? La récente lettre du préfet à l’adresse de la MEL le conforte dans cet espoir. Alors il n’en démord pas. « Tant que les bâtiments sont encore debout, on ne lâchera pas. Et même si demain ils venaient à en démolir un, on se battra pour les autres. Le combat ne s’arrêtera pas » pour sauver l’Alma de la démolition.
Sur l’ANRU, redéfinir oui, détricoter non
Le programme de rénovation urbaine de la MEL pèse deux milliards.
Le débat était attendu, un mois après le coup de règle administré par le préfet sur les doigts de la MEL. Dans un courrier du 15 novembre dernier. Georges-François Leclerc y avait pointé le « retard structurel » pris par la Métropole européenne de Lille dans ses programmes de rénovation urbaine. Trop de démolitions, pas assez de reconstructions et de relogements, d’où un déficit aggravé de HLM pour les habitants. Le haut fonctionnaire appelait la MEL à redéfinir certaines opérations, en privilégiant les réhabilitations sur les démolitions.
La brèche était ouverte. Plusieurs groupes s’y sont engouffrés, ce vendredi, lors du conseil de la MEL. « Il n’est pas question de tout arrêter, mais vous ne pouvez plus dérouler votre feuille de route, a lancé Faustine Balmelle au nom des écologistes. Penchons-nous sur les projets les plus problématiques. »
« Problématique » comme l’Alma, le quartier de Roubaix dont la rénovation est très contestée ? C’est l’avis du socialiste roubaisien Mehdi Chalah : « Il est encore temps de transformer la démolition du cœur de l’Alma en une réhabilitation ».
Pas de précipitation, a invité en retour Dominique Baert : « Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! » Le vice-président de la MEL délégué à l’ANRU a mis en garde contre tout détricotage : « Renoncer à des projets parce qu’on n’est pas à l’heure, ce serait regrettable. » Il a reçu le renfort du maire de Mons-en-Barœul, Rudy Elegeest (APM) : « On ne peut pas démonter pièce par pièce des projets patiemment construits. Et n’oublions pas que ces démolitions servent aussi à réinjecter de la mixité sociale. »
Dans une réponse au préfet, datée du 11 décembre, le président de la MEL a averti que la « redéfinition » demandée prendrait du temps. Damien Castelain s’est néanmoins engagé à rappeler sans attendre les objectifs aux communes et aux bailleurs : trop peu de villes, pour l’heure, accueillent les locataires issus de résidences détruites. Contribuant ainsi à gripper la mécanique de la rénovation urbaine.