L'éditorial de Jean-Yves Méreau

 


ÉDITORIAL


Les Journées du patrimoine auraient sans doute été une des plus belles inventions depuis l'émergence de la notion moderne du patrimoine, si elles n'étaient pas hélas devenues la plupart du temps que de la communication, de l'événementiel. Elles sont pourtant l'occasion d'une rencontre unique entre les militants du patrimoine et un public venu de tous les horizons. 


Car les Journées du patrimoine gomment la distanciation sociale que l'on attribue souvent à la notion du patrimoine. Elles permettent de voir et montrer que le patrimoine n'est pas l'affaire d'une élite, mais l'affaire de tous. Chaque année, les militants que nous sommes en sortent ragaillardis devant l'enthousiasme des visiteurs qui nous couvrent de louanges et d'encouragements : c'est bien ce que vous faites, heureusement qu'il y a des gens comme vous. 


Qu'en reste-t-il le lendemain ?


Pas grand-chose. Nous retournons à notre terrible solitude.


En les créant, Jack Lang avait perçu une vérité profonde : le patrimoine n'est pas la lubie d'une élite conservée dans la naphtaline d'un certain entre-soi. Il avait compris que tout le monde a besoin du patrimoine et que celui-ci était collectif.


Hélas ! si le patrimoine correspond à un besoin sociétal, il continue d'être marginalisé par les décideurs qui, par commodité, s'obstinent à le cantonner dans le rôle de marqueur social. Ainsi peut-on continuer à démolir ou dénaturer en toute impunité puisqu'on ne touche pas à un bien collectif, mais au privilège d'une caste.


Hélas ! ce raisonnement est parfaitement pervers. Il ne suffit pas, une fois l'an, de faire croire que l'accès au patrimoine est un droit aussi illusoirement gratuit qu'éphémère quand on empêche les gens d'habiter dans du patrimoine, en les cantonnant dans une architecture que l'on choisit pour eux selon des critères simplement de rentabilité.


Ainsi a-t-on créé des ghettos dont on voit les effets.

L'attitude de la mairie de Roubaix est l'exemple même de cette discrimination sociale devant le patrimoine. Cette ville d'art et d'histoire s'apprête à rayer de la carte deux quartiers de patrimoine, l'Épeule et l'Alma, et d'en chasser les populations par les pires moyens qui soient : murer progressivement pour rendre la ville invivable et pousser au départ les populations que l'on veut éliminer. Les destructions massives de petit patrimoine à Roubaix sont une régression terrible, une rupture de l'égalité sociale devant le patrimoine. En démolissant l'Alma, superbe exemple de coconstruction avant la mode, ainsi que les courées et maisons de l'Épeule, la municipalité de Roubaix prive toute une partie de la population roubaisienne de l'accès à l'architecture, de la proximité de son patrimoine, de la vie dans son patrimoine. Se faisant elle revient à la vieille notion élitiste du patrimoine. Celui qui est l'apanage des gens cultivés dont on garde les monuments, tandis que le petit patrimoine est bon à mettre à l'huche. Il n'y a pas de patrimoine des gens du peuple, de ce peuple qui a pourtant fait la région du Nord-Pas-de-Calais. Ce petit patrimoine est la richesse architecturale et humaine de la métropole lilloise et de la région.


Le patrimoine doit devenir un commandement, une règle supérieure, un prémisse à la réflexion et non pas la variable dont on s'accommode pour se donner une bonne image, une fois les affaires faites et le profit engrangé. Avec le réchauffement climatique, on voit bien où cela a mené. A donner le primat à l'économie et surtout à son diktat, le profit de plus en plus personnel, on a sacrifié la terre, les ressources et les hommes. Dans cette région, particulièrement.


En réponse, le rôle de l'État est primordial. La protection du patrimoine est du domaine du régalien comme la protection de l'environnement et de la nature, comme la santé ou l'éducation. À condition que l'État n'abdique pas devant les intérêts privés, les nouveaux féodaux locaux et le sacrosaint développement économique.


Jean-Yves Méreau

Président de la Renaissance du Lille Ancien