Une résidence étudiante à la polacxe d'un immeuble du XIXème siècle

À Roubaix, ils se dressent contre la démolition prévue d’un immeuble du XIXe siècle

Alors que Vinci Immobilier prévoit toujours de démolir un immeuble du XIXe siècle pour construire une résidence étudiante, plusieurs collectifs et l’ancienne élue au patrimoine se mobilisent pour dénoncer ce projet.



La façade du bâtiment semble ordinaire côté rue. Mais l’immeuble est un des rares témoignages de la première période d’industrialisation de Roubaix.

 

Un article de Bruno Renoul, journaliste à la rédaction de Roubaix, publié le 10 Juillet 2022

 

1 Le rappel du projet

 

L’immeuble comprend un bâtiment donnant sur la rue du Château, une cour et un autre bâtiment à l’arrière, l’ensemble constituant jadis une seule et même structure textile.

 

Le permis de construire a été validé en décembre par la ville de Roubaix. Celui-ci prévoyait ni plus ni moins que la démolition, par Vinci Immobilier, d’un immeuble situé au nº22 de la rue du Château. Le promoteur souhaite bâtir à la place une résidence étudiante. Situé juste derrière l’hôtel de ville, le bâtiment date pourtant de 1840 et se trouve être l’un des rares exemples de bâtiments de style néoclassique à Roubaix. Ce qui explique que sa démolition ait ému des défenseurs du patrimoine, qui ont dénoncé publiquement ce projet dès qu’ils en ont eu connaissance, en mars.



Voici un aperçu de la résidence étudiante que comptait édifier Vinci Immobilier dans la première mouture de son projet.

 

Depuis, la ville a expliqué n’avoir pas pu s’opposer juridiquement à ce permis de construire, et a demandé au promoteur de revoir sa copie pour préserver des éléments de façade. Ce que le promoteur semble accepter, même si Vinci Immobilier exclut de préserver l’immeuble. Visiblement, cette solution ne semble pas satisfaire les amoureux du patrimoine roubaisien.

 

2 L’association Roubaix Label.le saisit la DRAC



Jean-François Boudailliez, ancien adjoint à la culture et au patrimoine et président de l’association Roubaix Label.le.

 

Le collectif Roubaix Label.le, qui a révélé publiquement ce qu’il avait qualifié alors de « crime contre le patrimoine », s’est depuis constitué, en mars, en association de défense du patrimoine. Ce qui signifie que cette structure pourrait juridiquement introduire des recours judiciaires dans ce type de situation. A priori, il est toutefois trop tard pour saisir le tribunal administratif de ce permis de construire, les délais étant épuisés.


Sur ce cas précis, Jean-François Boudailliez, son président, dit avoir écrit à la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) pour solliciter une inscription de cet immeuble à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. « Ça ne pourra pas arrêter le permis de démolir, mais il nous faut alerter le maximum de monde sur la bêtise de ce projet », souligne-t-il. La DRAC confirme avoir réceptionné cette demande, le 28 avril. « L’attention du demandeur a été attirée sur les délais très longs d’instruction en raison du nombre important de demandes et sur le fait que la sélection des édifices à protéger est relativement sévère », avertit toutefois la Direction régionale des affaires culturelles.

 

3 Véronique Lenglet, ancienne élue au patrimoine : « l’impuissance est un choix politique »



Véronique Lenglet, ancienne conseillère municipale déléguée au patrimoine.

 

Ancienne élue roubaisienne en charge du patrimoine, Véronique Lenglet a démissionné début mars. Si ce projet de démolition n’était pas la seule raison de son départ, il en a été le déclencheur. « Ça a été le coup de trop », confie-t-elle aujourd’hui.

 

Véronique Lenglet s’étonne d’abord que l’architecte des bâtiments de France, qui examine tous les permis de construire, n’ait pas rendu d’avis sur ce projet. Une non-réponse de sa part emporte en effet son acceptation tacite. Mais surtout, elle conteste l’argument principal de la ville, qui consiste à se retrancher derrière l’absence de motif juridique pour refuser ce permis de construire. « L’impuissance est un choix politique », martèle-t-elle, indiquant que deux autres possibilités s’offraient à la municipalité. D’abord, préempter le bien, c’est-à-dire l’acquérir à la place du promoteur. Ensuite, refuser le permis et prendre le risque du recours. « Un promoteur n’a pas forcément intérêt à se mettre à dos une ville comme Roubaix », assure-t-elle.

 

4 L’association des urbanistes des Hauts-de-France : « on laisse les promoteurs jouer au Monopoly à Roubaix »



Myriam Cau, présidente de l’association des urbanistes des Hauts-de-France.

 

L’ancienne élue roubaisienne Myriam Cau, urbaniste de formation, est présidente de l’association des urbanistes des Hauts-de-France. Et c’est à ce titre qu’elle est vent debout contre ce projet de démolition. « C’est l’homogénéité de son patrimoine qui fait la richesse de Roubaix, et préserver cet immeuble, c’est préserver l’histoire de la ville, en évitant de créer des trous dans les alignements urbains », réagit-elle. Pour l’écologiste, au-delà de son ancienneté, c’est ce dont témoigne ce bâtiment qu’il faut conserver. « C’est un immeuble qui a été bâti par des marchands-fabricants, des négociants textiles, il illustre l’histoire du développement textile de Roubaix », expose-t-elle.

 

Au fond, Myriam Cau déplore une « perte de compétences » au sein du service d’urbanisme de la ville de Roubaix, qui ne raisonnerait plus qu’en termes juridiques. « L’esprit de la protection du patrimoine a été complètement abandonné, on ne regarde que la forme des permis de construire, alors que la municipalité pourrait jouer de son pouvoir d’influence pour négocier avec les promoteurs. Au lieu de ça, on les laisse jouer au Monopoly avec Roubaix. Pour des questions de rentabilité, on détruit notre ville », s’alarme-t-elle.

 

5 La société d’émulation : « C’est la globalité du bâtiment qui est intéressante »



Gilles Maury et Xavier Lepoutre, président et vice-président de la Société d’émulation de Roubaix.

 

La Société d’émulation de Roubaix (SER), qui est l’une des plus anciennes associations de Roubaix, a choisi de prendre position publiquement contre ce projet qui la scandalise, par la voix de son président, l’architecte Gilles Maury, et de son vice-président Xavier Lepoutre, qui est celui qui a découvert le pot-aux-roses, et a tenté un recours gracieux contre le permis de construire. Recours rejeté par la municipalité.

 

« Nous venons de modifier nos statuts pour y ajouter le patrimoine et sa défense. Nous voulons avoir intérêt à agir, à l’avenir, pour contester ce type de projet », insiste Gilles Maury. Lui et Xavier Lepoutre dénoncent l’idée de ne conserver que des éléments de façade, un pis-aller selon eux. « Le promoteur cherche la facilité et le profit maximum, alors que le bâtiment pourrait être réaménagé plutôt que démoli. Ici, c’est la globalité du bâtiment qui est intéressante, avec sa cour et l’atelier du fond, pas seulement la façade », poursuit l’architecte.

 

Côté cour, l’arrière du bâtiment présente un intérêt architectural plus prononcé que la façade côté rue.

 

Xavier Lepoutre précise qu’il s’agit « d’un des derniers bâtiments de la première période industrielle de Roubaix, avec l’ancienne usine Delattre ». Gilles Maury, lui, convient que « l’architecture du bâtiment n’est pas extraordinaire, mais insiste sur le fait que ce n’est pas le sujet ».