L'hôtel particulier d'Edouard Dupire-Rozan

Un article Bruno Renoul, journaliste à la rédaction de Roubaix, publié le 7 juillet 2017

 

C’est un véritable crève-cœur. Un hôtel particulier de la fin du XIXe siècle, vestige de la splendeur passée de Roubaix et témoin du travail d’un des plus grands architectes de la ville, risque purement et simplement de disparaître. 


Œuvre d’Édouard Dupire-Rozan, également père du palais de justice de Roubaix et du mythique Palais du Congo (voir ici), elle est l’otage d’un conflit successoral. Pendant que les héritiers se déchirent sur son devenir, le bâtiment de la rue des Arts, touché par le mérule, se dégrade et menace de tomber en ruine.



« Quand on est tombé sur sa maison, on a trouvé ça lamentable qu’elle soit dans cet état. »

 

En octobre, le président de la société d’émulation de Roubaix, l’architecte et historien Gilles Maury, tirait la sonnette d’alarme. La mairie avançait alors l’hypothèse d’une demande d’inscription à l’inventaire des Monuments historiques, procédure qui permettrait la sauvegarde du bâtiment.

 

Si, huit mois après, la situation n’a guère bougé, l’hôtel Dupire suscite de plus en plus d’intérêt. Une pétition vient d’être lancée par le collectif Zerm, composé de cinq jeunes architectes qui s’intéressent à la réhabilitation du patrimoine industriel roubaisien. Et qui viennent, entre autres, de lancer un projet de ressourcerie de matériaux de déconstruction aux Ateliers Jouret. Avec cette pétition, signée en quelques jours par plus de 400 personnes, le quintet veut alerter l’opinion publique et montrer qu’il y a un intérêt collectif pour la sauvegarde de l’immeuble. « Édouard Dupire-Rozan, c’est un architecte novateur qui a accompagné l’évolution industrielle de Roubaix. Quand on est tombé sur sa maison, on a trouvé ça lamentable qu’elle soit dans cet état », raconte Simon Givelet, l’un des membres du collectif.

 

Trois obstacles majeurs à surmonter

 

Dans l’esprit du groupe, l’immeuble serait racheté par la mairie puis confié à Zerm via un bail emphytéotique. Le collectif ambitionne de préserver l’unité de la partie habitable de la maison en y hébergeant de l’habitat partagé. « Vu la dimension de certaines pièces, ce serait préférable de les mutualiser plutôt que de dénaturer les lieux en les divisant », estime Simon Givelet. Le rez-de-chaussée de l’immeuble, jadis affecté au cabinet d’architecte d’Édouard Dupire-Nozan, pourrait accueillir des activités publiques ouvertes sur le quartier.



Mener ce projet à bien ne reviendra toutefois pas à parcourir un chemin parsemé de roses. Pour qu’il aboutisse, il y aura trois obstacles majeurs à lever : convaincre les propriétaires actuels de céder l’habitation, persuader la mairie de l’acquérir, et trouver les centaines de milliers d’euros nécessaires à sa réhabilitation. Le tout dans un temps contraint : le collectif Zerm le répète, « d’ici un an ou deux, il faudra mettre la maison par terre ». La ville soutient le projet prudemment

 

Le collectif Zerm n’a pas travaillé dans son coin : il a expliqué en détail son projet au maire, Guillaume Delbar (LR), et à sa conseillère déléguée au patrimoine, Véronique Lenglet (LREM), qui l’ont assuré de leur soutien. « On a beaucoup de sympathie pour leur approche », confie cette dernière, qui a d’ailleurs signé la pétition.

 

Les deux parties réfléchissent ensemble au montage juridique le plus efficace pour sauver l’immeuble. « Il faut s’engager dans la meilleure stratégie possible », relève Simon Givelet, membre du collectif. Véronique Lenglet ne dit pas autre chose : « On a pris le problème à bras-le-corps, on étudie les solutions possibles », expose-t-elle.

 

La ville marche sur des œufs

 

L’élue se veut volontariste et estime que la ville a un intérêt évident à la préservation de son patrimoine architectural. Mais elle « marche sur des œufs » en prévenant qu’il s’agit d’« un cas très épineux » en raison des divergences entre les héritiers de cette maison. « Attention à ne pas se retrouver propriétaire d’une ruine », avance-t-elle prudemment.

 

La municipalité a un sérieux atout dans sa manche : la famille a une dette de 95 000 euros envers la ville. Parce que la ville a dû prendre en charge, il y a des années, le relogement de familles en location dans l’immeuble pour des raisons d’insalubrité. Et parce que les propriétaires ne paient pas la taxe d’habitation depuis des années.