L’Hôtel-Dieu de Roubaix, l’hôpital disparu dont il ne reste que quelques pierres...
Il n’existe plus, mais un de ses vestiges demeure. C’est pour cela qu’il a sa place dans cette série que nous ouvrons sur le patrimoine hospitalier de Roubaix. Avec aujourd’hui l’Hôtel-Dieu, aussi appelé Hôpital Napoléon.
Un article paru dans la Voix du Nord le dimanche 23 juillet 2023 (version numérique)
Mais où sont les chambres, qui accueillirent jusqu’en 1978 les 82 derniers pensionnaires de l’hospice ? Que voit-on encore de ce bâtiment, qui devait se caractériser par « du confortable au dedans et une élégante simplicité à l’extérieur » ? Rien, si ce n’est ce fronton, œuvre du statuaire parisien Charles Iguel, qui ornait la façade.
Ce dernier vestige de l’Hôtel-Dieu, aussi appelé Hôpital Napoléon, on peut le voir dans un petit jardin public un peu délaissé, envahi de déchets, à côté de la Caisse d’allocations familiales. Il est juché sur quatre pilastres de béton, dont les parois qui l’ornent se détachent… Sur le devant, une plaque aux lettres à moitié effacées donne quelques explications sur cette sculpture.
Inspiré de l’hôpital Lariboisière
Ne cherchez pas d’autres vestiges de l’Hôtel-Dieu, et surtout pas dans le secteur de Blanchemaille où il fut construit à partir de 1861 (sa démolition, cent vingt ans plus tard, avait été dictée par la percée de l’avenue des Nations-Unies). Bâti pour répondre à l’insuffisance en lits hospitaliers, le projet datait de 1853 et l’idée était de le placer sous le patronage de l’Empereur Napoléon III. Son architecture devait s’inspirer de l’hôpital Lariboisière à Paris. La première pierre qu’on souhaitait le voir poser ? Ne sachant quand il devait se rendre dans le Nord, et ne voulant pas retarder les travaux, l’Empereur indiqua qu’il ne serait pas là pour cet acte symbolique mais accepta que son nom soit donné à l’établissement. Et c’est donc l’Hôpital Napoléon qu’il visita en 1867, deux ans après l’arrivée des premiers malades.
Agrandi… mais trop exigu
L’établissement comptait alors 208 lits, dont 48 pour les enfants. On y séparait les blessés et les fiévreux, mais il n’existait aucune chambre particulière pour les malades infectieux. Et c’est ce qui conduisit à une extension d’un étage en 1882, puis à la construction d’un pavillon pour les varioleux. Au fil des années suivantes, d’épidémie en exiguïté récurrente, l’Hôpital Napoléon s’agrandit.
Mais la construction du nouvel hôpital, à la Fraternité, change la vocation de l’établissement. En 1907, les malades sont déménagés au sud de Roubaix, remplacés par les pensionnaires de l’hospice (situé à l’emplacement de la salle Watremez et qui a été détruit). Trois cent cinquante vieillards sont alors hébergés dans ce qui devient l’hospice Blanchemaille. Jusqu’à ce que le percement de l’avenue des Nations-Unies, il y a une quarantaine d’années, le fasse disparaître du paysage de Roubaix, à l’exception du fronton qui ornait son entrée…
Mais pourquoi cette série ?
Il n’y a pas un quartier de Roubaix où son passé industriel ne ressurgisse : une cheminée ici, des toits en sheds là. Cette histoire économique, mais aussi urbanistique, est encore visible. Le passé sanitaire de la ville, lui, l’est beaucoup moins. Quelle trace garde-t-on de l’Hospice du Saint-Sépulcre, fondé par Pierre de Roubaix à son retour de Terre Sainte en 1463 ? Une plaque, là où il était situé, sur ce qui est devenu la place de la Liberté. L’hôpital Sainte-Elisabeth fondé par Isabeau de Roubaix (il était situé sur le côté de l’actuelle Grand-Place), l’Hospice civil rasé peu après son abandon en 1908 (il donna son nom à la rue de l’Hospice, le long de la salle Watremez) ? Plus que des références dans les documents d’archives.
Insuffisance chronique
Pourtant, ce patrimoine hospitalier a été important à Roubaix. Et, comme le mentionnait Xavier Lepoutre, de la Société d’émulation de Roubaix, dans un document très complet édité en 2004 (et qui nous a inspiré pour cette série), l’histoire hospitalière a été caractérisée par son insuffisance chronique, du fait de l’expansion industrielle de la ville au XIXe siècle et de l’explosion de sa population : « Un hôpital étant à peine créé qu’il devenait presque aussitôt trop exigu... »
Beaucoup de ces constructions ont été rasées, démolies. Nous avons choisi ici de mettre en avant celles qui sont encore visibles et où l’on soigne encore les Roubaisiens. À quelques exceptions près que vous découvrirez dans les différents volets – et notamment le premier – de cette série.
Le fronton Blanchemaille
Un article paru dans Ateliers Mémoire le 15 avril 2023. Documents archives municipales
Rue de Blanchemaille à Roubaix, l’hôpital Napoléon a été construit et inauguré en 1867. Il deviendra par la suite, l’Hôtel Dieu puis l’hospice Blanchemaille.
Plus d’un siècle plus tard, en 1981, l’hospice Blanchemaille est rasé pour cause de salubrité et surtout parce qu’il se situe près de l’emplacement du percement de l’avenue des Nations Unies. Voir sur notre site, un article précédemment édité et intitulé : « Nations Unies, dernières démolitions, côté Nord ».
Sur la façade de l’hospice Blanchemaille, se trouve le fronton d’Isabeau de Roubaix, fille de Pierre de Roubaix. Une œuvre magnifique de 1867 du sculpteur Charles Iguel (1827-1897) qui a su rendre, par son œuvre, à Isabeau de Roubaix, une figure féminine douce et sereine.
Le fronton représente Isabeau de Roubaix, entourée de ses pauvres et des déshérités. Elle a fondé l’hôpital Sainte Elisabeth en posant la première pierre en 1488. Isabeau est représentée en train de donner aux malades la charte de l’hôpital.
Le fronton est l’un des éléments les plus caractéristiques et les plus artistiques de cette façade. En 1981, on étudie donc la possibilité de sauver cette partie du bâtiment de la démolition. Cet élément pourrait ainsi être descellé et installé ailleurs, comme par exemple, posé sur un porche aménagé sur le mail planté de l’église Notre Dame. Une étude financière et technique est lancée.
Une association regroupant notables, industriels et entreprises roubaisiennes est créée pour qu’Isabeau puisse être sauvée, avant que l’oeuvre ne termine à la décharge. L’association présidée par Francine Mulliez réunit la coquette somme de 225 000 F pour sauvegarder ce patrimoine roubaisien. Le fronton Blanchemaille est sauvé !
Le triangle de pierre de plusieurs tonnes est démonté, gardé dans un local municipal en attendant de trouver l’endroit idéal. Pendant plusieurs mois, il est stocké dans une sombre pièce municipale, pendant que Didier Schulmann conservateur du musée de Roubaix essaie de le replacer dans la commune, mais en vain.
Les jardins des nouveaux bâtiments de la CAF (Caisse d’Allocations Familiales), qui remplacent les anciens locaux du 7 de la Grande rue, construits boulevard Gambetta à l’ancien emplacement de la caserne des pompiers, lui offrent une occasion rêvée.
Les services municipaux commencent alors l’entretien du fronton. Il est nettoyé, rafraîchi et remonté. On crée une toiture en zinc qui est posée sur toute la partie supérieure du triangle, de façon à le protéger des intempéries.
Un haut relief est prévu récapitulant les 41 souscripteurs qui ont financé les travaux.
Le fronton trône désormais sur une poutre en béton posée sur 4 piliers habillés en pierre bleue de Soignies, plantés sur un coin de pelouse de ce terrain qui appartient à la C.A.F.
L’inauguration du fronton a lieu le 23 septembre 1987 à 15h, sur place, dans
les jardins de la nouvelle caisse boulevard Gambetta, en présence d’ André Diligent sénateur-maire, de Francine Mulliez présidente du comité de souscription et de Louis Vancapernolle président de la C.A.F. de Roubaix.
André Diligent sénateur maire prend la parole. Il fait appel au mécénat et à la fibre roubaisienne pour sauver le patrimoine culturel de la ville.
Francine Mulliez remercie les donateurs et enlève le voile du fronton en présence d’une nombreuse assistance.
Pierre Boisard, président national de la CAF coupe le cordon d’inauguration.
Le fronton veille désormais à travers les vitres fumées de la CAF sur les guichets informatisés.
Les bureaux de la Caisse sont d’ailleurs fermés ce jour pour cet événement. Un chahut est organisé par une cinquantaine de cégétistes qui décident d’ajouter leur gain de sel à la cérémonie et viennent troubler le moment.
Les 27 maires des communes desservies en prestations familiales de la CAF de Roubaix sont également présents. Les 27 municipalités représentent 83.000 allocataires.
Il y a à Roubaix, des gens capables de générosité pour sauver le patrimoine de la ville, une générosité qui permet de sauver ce fronton et de lui offrir au sein de la cité textile, la destinée pour laquelle il a été sculpté.
Cependant, il est dommage de constater que malheureusement aujourd’hui, le monument est en piteux état car il n’est plus du tout entretenu depuis quelques années.